Un animateur vidéo d’école russe devient clandestinement lanceur d’alerte. Filtrant la propagande imposée à ses élèves après l’invasion de l’Ukraine, il rassemble images et confidences, témoignant de la banalité du mal et du quotidien sous la dictature poutinienne.
Il s’appelle Pasha Talankin. Il travaille à l’école Karabach N°1, la plus grande école d’une ville de 10.000 habitants. Ici, c’est l’Oural, loin à l’est de Moscou. Le cœur industriel de la Russie. Un lieu hautement dépressif, si on en croit les dizaines de vidéos YouTube disponibles, toujours occidentales : l’endroit le plus pollué du monde – la faute à la mine de cuivre qui a rendu les environs noirs et nauséeux, avec cancers à la clef… Mais pas du point de vue de Pasha : en tant que responsable des événements et vidéaste officiel de l’école, il continue de filmer un peu tout ce qui se passe. Les fêtes. Les préparatifs. La cantine. La bibliothèque – et la bibliothécaire, qui n’est autre que sa mère, à qui il apporte des fleurs quand vient le moment de la fêter. Et puis soudain tout change. En cause, une certaine « opération militaire spéciale ».
Sur les écrans qui émaillent les couloirs de l’école, des chars sur des trains. Et sur le fax, une note urgente : Nouvelle politique fédérale d’éducation ». Nous sommes en guerre. Il va falloir se le rappeler. Pasha tombe des nues. Il doit à présent officiellement tout documenter. Les défilés, les saluts au drapeau. Les leçons « scénarisées » où les profs débitent des phrases toutes faites, imprimées sur les papiers qu’on vient de leur distribuer. On trébuche sur les termes, les nouveautés. Dénazification de l’Ukraine. Démilitarisation. Pasha filme. Mais il ne peut s’empêcher de dire aux élèves : « Ce que va vous dire la maîtresse, elle y est obligée ». Rec. Play. « C’est vrai, maîtresse ? », demande une petite voix. « Si vous êtes obligée, clignez deux fois ». La maîtresse cligne. Deux fois. Et lit son papier. –
Texte extrait de la critique de Sylvestre Sbille, L’Écho, 9 septembre 2025.

