L’Agent secret

Kleber Mendonça Filho orchestre une plongée vertigineuse dans le Brésil des années 1970, sous la dictature, alors que le régime militaire impose censure, surveillance et répression. L’Agent secret explore les méandres de la mémoire nationale, les cicatrices laissées par la dictature sur les corps, les esprits et les relations, à travers le parcours de Marcelo, alias Armando (Wagner Moura a reçu le prix d’interprétation masculine à Cannes pour ce rôle), un homme hanté par ses choix et ses secrets, chercheur contraint à la clandestinité à Recife, espérant fuir le pays avec son fils. Autour de lui gravitent une multitude de personnages secondaires : policiers corrompus, tueurs à gages, témoins silencieux, dans une architecture narrative dense, faite d’allers-retours et de récits fragmentés et de quelques incursions dans le présent par le biais de deux jeunes étudiantes qui étudient les enregistrements audio d’un réseau de protection et d’exfiltration de l’époque. Peu à peu, la légèreté apparente laisse place à la tragédie latente.

Non content de reconstituer une époque, Mendonça Filho interroge les silences, les peurs et les stratégies de survie qui ont marqué toute une génération.

Comme une « partition filmique ludique et sophistiquée » (Fabien Lemercier, Cineuropa), où le cinéaste emboîte les strates narratives avec virtuosité, la mise en scène joue avec les codes du cinéma de genre — thriller, drame intime, chronique sociale — pour mieux brouiller les pistes et créer une tension feutrée. Le film alterne moments de douceur et éclats burlesques, dans une ville, Recife, carnavalesque et menaçante, où la vie et la mort se côtoient à chaque coin de rue. Une ambivalence au cœur du cinéma de Mendonça Filho, qui mêle réalisme et stylisation, mémoire personnelle et récit national.

Le récit avance en trois chapitres distincts (le cauchemar du petit garçon, l’institut de médecine légale, le centre de transfusion sanguine), chacun explorant une facette du passé brésilien, tout en convergeant vers une unité dramatique. Mendonça Filho mène cette progression à la manière d’un agent secret, tissant subtilement les fils narratifs sur plusieurs niveaux jusqu’à leur réunion finale.