Jean-Noël Jeanneney
« De l’universalité du nez de Pinocchio ». Je ne suis pas sûr qu’une thèse ainsi formulée soit jamais soutenue en Sorbonne : tant la matière à traiter serait vertigineuse… Et pourtant le Conseil de notre festival (qui n’a peur de rien !) a pris le parti de surmonter cet effroi. « Le Secret et le mensonge » : comment aurions-nous pu résister, une fois l’idée émise, à l’évidence de sa séduction ? Nous voici portés d’un seul mouvement vers tout un monde où le cinéma est voué à rencontrer l’Histoire dans un dialogue et une complicité plus intimes que jamais. Le Secret et le mensonge : deux notions spécifiques que relient bien des connivences (ne dit-on pas d’ailleurs « mentir par omission » ?). Nous allons retrouver, une fois de plus, toute la gamme du septième art et toute la complexité du passé. Au plus proche de la vie privée comme au centre de la vie publique, à la rencontre des calculs les plus glacés, des passions les plus débridées, des sottises les plus délétères. Nous irons d’âge en âge depuis le fond des siècles et des religions jusqu’à l’actualité hideuse des fake-news délibérément répandues et de la « vérité alternative » impunément affichée. Nous irons au plus près des pouvoirs, ces monstres froids que secouent les passions. Nous irons des secrets de famille à ceux de l’Etat, comme aux secrets diplomatique, militaire, sanitaire ou encore celui de la confession (voyez Hitchcock !) Au demeurant les films que nous verrons nous préserveront de la tentation d’être péremptoires ou moralisateurs, en nous installant à mi-chemin du cynisme et de la naïveté : la conduite des affaires, au-dedans comme au-dehors, a toujours besoin d’une dose de secret et peut-être de mensonge. En fixer la limite, selon les domaines et dans la durée – tel est le grand défi. L’exigence d’une transparence absolue qui ferait fi du for intérieur et de la vie privée peut être mortifère pour la démocratie. Nous allons rencontrer, sur nos écrans et dans nos débats, l’ambivalence du scandale lorsqu’il éclate : source d’indignation à cause de l’insupportable qu’il révèle mais aussi de satisfaction puisqu’il parvient à le faire. Notre thème est décidément sans fond. Au XVIIIe siècle, Swift, l’homme de Gulliver, avait signé un pamphlet intitulé l’Art du mensonge politique -mais il n’en était pas, bien sûr, le véritable auteur… On n’en a jamais fini avec les malheurs de la vérité. Entre mystère et lucidité, que la fête commence !